Login

Troisième année dans le rouge pour les céréaliers

« En 2023, les charges étaient trop élevées. En 2024, les rendements étaient trop mauvais. Et en 2025, les prix sont trop bas », résume Oscar Godin, du pôle économie et systèmes multiperformants chez Arvalis.

Cette année encore, les prévisions de résultats économiques des exploitations spécialisées dans la production de céréales et oléoprotéagineux ne sont pas bonnes. Les prix bas, conséquence des récoltes mondiales abondantes, ne permettent pas de couvrir les charges gonflées par l’inflation.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Le prix du blé tendre récolté en 2025 serait 65 €/t en dessous de son prix d’intérêt complet (ou « seuil de commercialisation ») selon les données prévisionnelles de l’observatoire Arvalis-Unigrains. Ce dernier se base sur les données de comptabilité d’environ 4 000 exploitations françaises, avec un rendement moyen en blé tendre de 81 q/ha en 2025 (67 q/ha en 2024). Ces exploitations sont situées dans 16 départements, majoritairement au nord de la Loire.

Un coût de production prévisionnel du blé tendre estimé à 257 €/t

En 2025, le coût de production prévisionnel du blé tendre (somme des charges divisée par le rendement) s’établirait à 257 €/t en moyenne, expose Léa Bounhoure, ingénieure chez Arvalis en Bourgogne-Franche-Comté. Le prix d’intérêt complet (ou « seuil de commercialisation », qui correspond au coût de production duquel on soustrait les aides de la Pac) s’élèverait, lui, à 230 €/t.

Cet indicateur prend en considération l’ensemble des charges, incluant la rémunération des agriculteurs à hauteur d’environ 2 Smic par actif non salarié. Le prix de vente prévisionnel du blé tendre, estimé autour de 165 €/t plus ou moins 15 €/t, ne permet pas de couvrir ce seuil de commercialisation. Et c’était également le cas en 2023 et 2024.

Des charges qui restent élevées

Léa Bounhoure constate « un vrai delta au niveau économique » en 2025. Cela s’explique par « des prix de vente qui sont au plus bas depuis 2014 en euro constant, tandis que les charges n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant 2022 ». La récolte mondiale du blé tendre a été très volumineuse et les prix sont en berne. « Ils sont faibles, et en plus de ça, décorrélés de l’inflation qu’il y a eue sur ceux des intrants et les autres charges », pointe Oscar Godin, du pôle économie et systèmes multiperformants chez Arvalis.

Au total, « les charges de production du blé tendre atteindraient 2 090 €/ha en 2025 », chiffre Léa Bounhoure. Elles seraient en baisse de 90 €/ha par rapport à 2024 (2 180 €/ha). Arvalis explique que cette évolution est principalement liée à une stabilisation des charges de mécanisation et des charges opérationnelles en 2025 par rapport à 2024, et à une diminution des charges sociales en lien avec les mauvais résultats économiques des deux dernières campagnes.

Néanmoins, les charges ne redescendent pas au niveau d’avant 2022, en moyenne à 1 800 €/ha. À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, deux mouvements de hausse de prix ont été observés, retrace Oscar Godin : la flambée du prix des engrais et des carburants, puis le mouvement d’inflation qui « est venu gonfler tous les autres postes de charge » (semences, charges de mécanisation, travaux par les tiers…). « Cela empêche vraiment de retrouver cette stabilité que l’on a pu avoir par le passé. »

Des bilans mondiaux lourds pour les céréales et les oléagineux

Le blé tendre, pour lequel les données économiques sont les plus nombreuses, n’est évidemment pas la seule culture a être impactée par ces hausses. Le bilan mondial est globalement lourd pour les céréales et oléagineux, tirant l’ensemble des prix des grains à la baisse. Un constat qui impacte fortement les exploitations agricoles spécialisées dans ces productions (« Otex 15 » ou « Scopeur »). En témoigne l’estimation de revenu courant avant impôt par actif : il serait une nouvelle fois nettement négatif en 2025.

Pour ces exploitations, « cela fait trois ans que c’est compliqué, appuie Oscar Godin. En 2023, les charges étaient trop élevées. En 2024, les rendements étaient trop mauvais. Et en 2025, les prix sont trop bas. » Les exploitations qui produisent des cultures industrielles (« Otex 16 ») telles que des pommes de terre, des betteraves, ou du lin textile, s’en sortent mieux et parviennent à maintenir un revenu.

Pour les « Scopeurs », l’expert note « d’énormes disparités entre les exploitations ». Derrière les moyennes nationales se cachent « des situations qui sont très, très diverses ». Les analyser pourrait, selon lui, permettre de « trouver des marges de manœuvre ». Par exemple, en moyenne sur 2019-2023 dans les départements de l’Eure et de la Seine-Maritime, il souligne une différence de charge de 450 €/ha pour le blé tendre entre les 20 % d’exploitations ayant le coût de production le plus haut et les 20 % le plus bas.

Qu'est-ce ce qui pèse le plus ? « Les charges de mécanisation », avance-t-il, invitant à travailler sur ce point. Viennent ensuite les charges opérationnelles et de main-d’œuvre. Arvalis propose deux outils gratuits en ligne qui permettent de se comparer aux références régionales et nationales : ImpactCharges et ImpactCoutdeProduction.

« On ne gagne plus rien »

Cet automne, malgré une plaine qui se porte bien, le moral n’est pas au beau fixe chez les céréaliers. Guillaume Moret, président de la FDSEA Île-de-France, craint une dégradation de la santé psychologique des agriculteurs, « mise à mal par trois années de difficultés financières ».

« Entre ma ferme et mon ETA, je travaille 850 hectares et pourtant je n’y arrive plus : on ne gagne plus rien, témoigne Frédéric Bouché, agriculteur à Ballancourt-sur-Essonne (Essonne). On peine au niveau psychologique et cela pèse sur tout le monde. Il faut retrouver de la stabilité pour notre moral. Je m’inquiète beaucoup pour mon fils qui s’est installé récemment sur 140 ha et qui a du mal à sortir un salaire. »

Les conséquences envisagées de la mise en place de la taxe carbone européenne sur les engrais participent incontestablement à cette morosité. Leur prix pourrait grimper, augmentant le coût de production des récoltes à venir. Tout comme la Coordination rurale (CR), la FNSEA est vent debout contre ce mécanisme.

Au-delà des mesures de court terme qui pourraient aider les exploitants en difficulté (activation de la réserve de crise, reports d’annuités, prise en charge de cotisations…), elle plaide pour une revalorisation du budget de la Pac et un accès plus large aux outils de production (produits phytosanitaires, irrigation, génétique…). « Il nous faut renouer avec l’ambition de produire », résumait Franck Laborde, président de l’association spécialisée de la FNSEA pour le maïs (AGPM), en novembre.

La Coordination rurale, elle, appuie sur la nécessité de travailler la question du prix de vente, en régulant le marché. Un souhait peu en adéquation avec la ligne politique européenne actuelle. Mais François Walraet, président de France Grandes Cultures, association spécialisée de l'organisation syndicale, regrette : « On ne se met même pas autour de la table pour en discuter. »

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement